Mots clés : violences scolaires • prescription • viol • forclusion • enquête
Comment vaincre la prescription dans l’affaire BETHARRAM ? Le Quotidien LEXBASE a interrogée Me MARGUIRAUT, avocate de victime. La prescription, si elle est un élément essentiel de la procédure pénale, peut aussi aboutir à ce que des victimes qui ont mis du temps à se libérer de la honte d’avoir subi des actes traumatisants voient leur parole étouffée et leurs témoignages devenus inutiles, au moins dans la condamnation des criminels. C’est particulièrement le cas dans des affaires relatives aux traumatismes vécus pendant l’enfance, comme dans l’affaire « Bétharram », du nom de cet établissement où auraient eu lieu des sévices de la part de l’encadrement éducatif pendant des décennies, qui fait actuellement la une des journaux. Pour savoir comment se sortir de cette impasse, Lexbase a interrogé Lore Marguiraut, avocate de plusieurs victimes de ces violences*.
Comment vaincre la prescription dans l’affaire BETHARRAM ? Extrait de la publication
Lexbase : Quels autres recours s’ouvrent aux victimes même si les faits sont prescrits ?
Lore Marguiraut : Deux recours s’ouvrent aux victimes, nonobstant la prescription pénale des faits, au travers du droit civil ou de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions.
La responsabilité civile, prise en sa branche corporelle, propose un système de prescription bien plus adapté aux victimes que le droit pénal.
Premièrement, le point de départ du délai est fixé au moment de la consolidation de l’état de santé de la victime, c’est-à-dire au moment où elle se stabilise, avec ou sans séquelles. Un grand nombre de victimes de violences sexuelles n’ont jamais été consolidées : il aurait fallu pour cela que le traumatisme soit révélé et pris en charge. Le délai n’est alors jamais parti.
Deuxièmement, l’article 2226 du Code civil N° Lexbase : L7212IAD allonge la prescription d’un dommage corporel de dix à vingt ans en cas de violences sexuelles sur mineur.
En troisième et dernier lieu, une aggravation de l’état de santé fait partir un nouveau délai de prescription, permettant la réouverture de dossier. En pratique, un dépôt de plainte cause souvent une décompensation des séquelles psy, ce qui aboutit à une aggravation médicalement constatable de l’équilibre psychologique, et donc à une possible réouverture du dossier.
La Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) est également un recours intéressant. La saisine de la Commission est notamment conditionnée par des délais de forclusion. Contrairement à la prescription, la forclusion ne s’interrompt pas. Elle peut seulement être prorogée. Les victimes se voient proposer un double délai, le plus favorable s’appliquant.
Les demandeurs peuvent saisir la Commission dans l’année de la dernière décision juridictionnelle, statuant sur la culpabilité ou sur les intérêts civils [2]. Une décision de classement sans suite n’est pas une décision au sens de l’article 706-5 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3271MKD [3]. Dans le cas de l’affaire « Bétharram », l’enquête est encore en cours : il est loisible d’en conclure que le délai est prorogé durant les actes d’enquête [4].
Les demandeurs peuvent également saisir la Commission dans les trois ans des faits subis.
Si ces deux délais sont expirés, l’action est forclose. Il reste toutefois possible de solliciter un relevé de forclusion, conformément à l’article 706-5 du Code de procédure pénale. Cet article permet à la Commission de relever le demandeur de la forclusion, s’il démontre ne pas avoir été en mesure de faire valoir ses droits. Cet empêchement peut être de différentes natures.
La cour d’appel d’Orléans a ainsi confirmé le relevé de forclusion en faveur d’une victime dans « l’impossibilité psychologique » d’engager un processus juridique [5]. La cour précisait dans cet arrêt que l’impossibilité n’avait pas à revêtir de caractère absolu ; caractère absolu qui n’était pas requis par les termes de l’article 706-5 du Code de procédure pénale.
De même, il est possible d’obtenir un relevé de forclusion si la victime a été dans l’impossibilité juridique de faire valoir ses droits. La Commission est attentive au parcours du requérant : celui-ci a-t-il consulté un avocat, a-t-il été entendu par des enquêteurs, une décision a-t-elle été rendue par un magistrat ? Si le requérant avait été informé de ses droits, ou plus strictement s’il aurait dû l’être, notamment par son conseil, alors la forclusion demeurera acquise [6].
Lexbase : Comment envisagez-vous les suites de l’affaire ? Y a-t-il de bonnes chances de voir les coupables condamnés ?
Comment vaincre la prescription dans l’affaire BETHARRAM ? Sur le volet civil, il serait intéressant de creuser la question de l’identité de la personne morale responsable au moment des faits, et de sa subsistance à l’heure actuelle. Une fois le rapport commettant-préposé débattu, le délai de prescription de vingt ans courant à compter de la consolidation pourrait ne pas être achevé, le cas échéant. C’est une piste de secours à explorer au besoin.
Concernant la condamnation des auteurs des faits dans l’affaire « Bétharram », l’instruction est en cours pour un seul mis en cause ; cela implique que des indices graves ou concordants existent à l’égard des faits qui lui sont reprochés. Cela signifie en outre que ces faits ne sont pas prescrits au pénal. Pour répondre à votre question, ces éléments procéduraux me laissent penser qu’en effet, il y a des chances que cet auteur, seul, soit condamné.
*Comment vaincre la prescription dans l’affaire BETHARRAM ?
Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] Cons. const., décision n° 2019-785 QPC, du 24 mai 2019 N° Lexbase : A1992ZCR.
[2] CA Paris, pôle 2, ch. 4, 16 février 2011, n° 10/01539 N° Lexbase : A6554HQS.
[3] Cass. civ. 2, 30 septembre 1981, n° 81-13015, publié au bulletin N° Lexbase : A5754CKC.
[4] Cass. civ. 2, 30 septembre 1981, n° 81-13015, préc.
[5] CA Orléans, 29 juin 2015, n° 14/02098 N° Lexbase : A2537SHG.
[6] CA Rouen, 29 mars 2006, n° 05/02493 N° Lexbase : A0856G34.